FACE A LA CRISE. Transformer la crise sanitaire en une opportunité de développement économique pour le territoire. Tel est le crédo de la région Centre Val de Loire qui a lancé dès mai une stratégie de relocalisation industrielle pour ses principales filières. Afin d’être suivie d’effets, cette politique volontariste devra passer outre les freins réglementaires et convaincre l’État de l’accompagner.
Conduit par Dev’up, un audit des entreprises du territoire concernant leurs projets de développement, spécifiquement centré sur la sous-traitance, démarrera dès cet été. Pour réaliser cette photographie, l’agence de développement économique de la région s’est concentrée sur ses filières majeures, notamment la santé, la cosmétique, l’automobile, ou encore l’agroalimentaire et l’aéronautique. Toutes ont subi une baisse d’activité de 30 à 40% en moyenne pendant le confinement.
Cette enquête de plusieurs mois qui concernera plusieurs centaines d’entreprises aura un double objectif : évaluer leurs besoins à court et à moyen terme, pour ensuite raccourcir la chaîne de valeur grâce à la relocalisation de certains sous-traitants.
Bien en amont du déconfinement le 11 mai, le ton avait été donné par François Bonneau. Pour le président (PS) de la collectivité régionale, il était nécessaire de panser les plaies économiques provoquées par le confinement, mais surtout de massifier durablement l’écosystème par filière. L’un des enseignements majeurs de la crise du COVID-19 est bien d’avoir révélé la forte dépendance de pans industriels stratégiques vis-à-vis de la sous-traitance internationale.
Illustration des risques encourus : le défaut de production de masques en tissu et de blouses de protection dans le Centre-Val de Loire (mais aussi à l’échelle de l’Hexagone), que la reconversion en urgence d’entreprises du textile est loin d’avoir pallié.
Avec les difficultés industrielles qui s’annoncent à la rentrée, la relocalisation est également conçue par la collectivité comme l’un des pivots centraux pour consolider l’activité existante. À la clé : le maintien des compétences sur place, la diminution de l’empreinte carbone et la réduction des coûts logistiques.
Le déploiement d’outils sur mesure
Pour réintégrer en Centre-Val de Loire certains fournisseurs ou en attirer de nouveaux, Dev’up prévoit de déployer un arsenal complet. Une offre « packagée » visant à offrir des services étendus aux entreprises candidates est actuellement en cours d’élaboration. Elle concernera l’accueil et la formation des salariés, les locaux et les subventions. Sur le segment de l’alimentaire, cette volonté de la Région de développer une économie de plus en plus tournée vers les circuits courts est également symbolisée par le lancement prochain d’une nouvelle marque. Cette dernière garantira le made in Val de Loire d’un bout à l’autre de la chaîne de production.
L’agence économique du Centre-Val de Loire vient parallèlement de mettre en ligne le nouveau site Internet, Invest in Loire Valley, qui relaie les opportunités d’implantations. Dev’up a aussi enrichi son portail d’immobilier d’entreprises Setting’up d’une nouvelle rubrique dédiée à l’accompagnement des projets de relocalisation. Le dispositif d’accueil inclut enfin une recherche systématique de fonds européens mobilisables pour les entreprises qui réinternalisent leur production dans l’Union.
Si Dev’up espère identifier une quinzaine de projets de relocalisation au second semestre avec mise en oeuvre en 2021, certains industriels du territoire ont déjà largement anticipé la recherche d’une économie en circuit court. C’est le cas de la Laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel (LSDH), acteur majeur loirétain des produits frais, salades (Les Crudettes), snacking, crème, lait et jus de fruit. Le groupe détenu par la famille Vasseneix (900 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, 2 000 salariés) est ainsi en train de construire un entrepôt de plusieurs milliers de mètres carrés, adossé à son site de Châteauneuf-sur-Loire (Loiret). Objectif de cet espace qui sera opérationnel début 2021 et nécessitera un investissement de 37 millions d’euros : stocker les produits des sept sites de la société (dont quatre en Centre-Val de Loire) pour rationaliser sa logistique et diminuer l’empreinte carbone et les coûts de transport.
Par ailleurs, 200 emplois devraient être générés par le nouvel outil. D’ici la fin de l’année, LSDH créera aussi, jouxtant son usine de Saint-Denis-de-l’Hôtel, dans le Loiret, une nouvelle unité d’extraction de végétaux pour le lait, comme le soja, l’avoine et l’épeautre, actuellement disséminées dans l’Hexagone. Cette dernière regroupera d’autre part la R & D du groupe. Raisonnant en termes de création de filière pérenne, LSDH participe enfin depuis plusieurs années à la relocalisation en région Centre-Val de Loire des producteurs de lait.
Un chiffre illustre plus particulièrement l’âpreté du chantier à mener dans les laboratoires pharmaceutiques, autre fer de lance de la Région avec l’agroalimentaire. Environ 85% des principes actifs des médicaments fabriqués par les grands noms du territoire, comme Sanofi, Pfizer ou encore Novo Nordisk, proviennent d’Asie. À la base de cette politique, la baisse drastique du prix des médicaments, accompagnée d’une hausse de la réglementation sanitaire.
Ce constat est dénoncé depuis plusieurs années par David Simonnet, PDG d’Axyntis, un des leaders de la chimie fine en France, dont un des sites de production est situé à Pithiviers (Loiret). Dans un domaine qui concerne la souveraineté sanitaire et stratégique du pays, le dirigeant appelle ainsi dans un premier temps « à la relocalisation des molécules majeures, notamment dans les soins du cancer et des maladies génétiques ».
L’idée d’un « crédit impôt production »
« Pour réussir, la relocalisation de tout ou partie des moyens de production doit permettre aux industriels de rester compétitifs, note Jean-Louis Garcia, directeur général de Dev’up.
La première motivation de la sous-traitance est généralement d’obtenir des coûts minorés, notamment de main-d’oeuvre. Dans ce contexte très déséquilibré, seule la robotisation issue de l’industrie 4.0 peut permettre de préserver les marges des entreprises. »
Fabien Riolet, directeur de POLEPHARMA le réseau de la pharmacie basé à Chartres, en Eure et Loir, enfonce le clou : « Pour accompagner ces investissements productifs colossaux, l’État devrait instaurer un crédit impôt production bâti sur le même modèle que la recherche, ou encore systématiser la commande publique vers les produits de soins français. À charge pour les laboratoires de faire savoir aux consommateurs la provenance des médicaments, par exemple par des pictogrammes. »
Cette préférence nationale est également appelée de ses voeux par Emmanuel Hallauer, directeur du développement du fabricant d’endoscopes Axess Vision Technology, basé à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). L’entreprise s’est engagée à relocaliser la fabrication de ses composants, si cette dernière est mise en oeuvre.
Promises depuis 2014 par la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, les commandes préférentielles de l’État et des collectivités territoriales auprès des entreprises hexagonales se heurtent toujours au code des marchés publics. Dans un environnement de libre-échange européen, ce dernier proscrit de favoriser le made in France.
Source :
www.latribune.fr
Propos recueillis par Guillaume Fischer, Journaliste
7 août 2020